dimanche 16 septembre 2012

Du contenu et des liens

Ligne de désir

La friche

Lors du 4ème Colloque International sur le Document Électronique (Toulouse, 2001), nous avions présenté, Thomas Polacsek et moi-même, le concept de friche hypertextuelle, une nouvelle façon de créer des liens entre des documents.

Nous nous étions basés sur les travaux du paysagiste Gilles Clément (Éloge de la friche, éditions Lacourière et Frélaut, 1994) en utilisant la friche comme métaphore de l'hypertexte, passant alors de la notion de ligne de désir chère à l'urbanisme…
Il s'agit d'entourer un bâtiment par une pelouse sans tracer de chemin vers lui. Ce sont les usagers qui usent la pelouse au fil du temps, déterminant les chemins les plus utiles. Il reste alors à l'architecte, après un temps d'utilisation plus ou moins long, à installer dans la durée les chemins tracés en les dallant. L'usager s'est fait dans une certaine mesure architecte de son lieu de vie.
…À son application à la navigation hypertextuelle :
Le modèle de la friche consiste pour un hypertexte à ne posséder ni point d'entrée, ni point de sortie, et à ce que chaque document qui le compose soit lié à tous les autres. L'utilisateur est « lâché » en immersion au cœur de la friche, c'est−à−dire sur un quelconque des documents qui constituent la friche, et doit y créer son propre parcours, son propre chemin cognitif, dans l'ensemble des informations qui se présentent à lui.
Le principe consistait donc à créer un hypertexte complet, chaque unité d'information pointant vers toutes les autres, de laisser les visiteurs s'en emparer et parcourir ses liens, puis de figer les chemins les plus utilisés après cette phase d'apprentissage.

L'aventure s'était plus ou moins arrêtée à ce poster de présentation du concept, quelques implémentations sur des hypertextes de petite taille ont été faites par la suite, sans donner lieu à de nouvelles publications.


Les lignes de désir

Et voici qu'aujourd'hui, le concept renaît de ses cendres sous d'autres cieux, dans le domaine connexe de la recherche d'information et la navigabilité d'un site internet, via un article de Jim Kalbach et Karen Lindemann (Designing Screens Using Cores and Paths).

Les auteurs y présentent le travail de l'architecte de l'information Are Halland qui, dans sa présentation Core and Paths: Designing findability from the inside out (EuroIA Summit, 2007), propose une méthode de design web qui consiste à commencer par le contenu, puis à développer la navigation à partir de celui-ci.

On retrouve le concept de lignes de désir, cette fois-ci via l'architecte Christopher Alexander (A Pattern Language, Oxford University Press, 1977) qui préconise de poser les buts en premier, puis de les relier par des chemins (To lay out paths, first place goals at natural points of interest. Then connect the goals to one another to form the paths).


Contenu et Chemins

Mais revenons à Are Halland qui développe une technique de design, celle du Contenu et des Chemins, tenant en trois points :
  • Commencer par le contenu
  • Définir des chemins vers le contenu
  • Définir des chemins à partir du contenu

Il s'agit de prioriser le contenu et les fonctionnalités qui y sont attachées pour satisfaire les buts de l'utilisateur. Ensuite, on peut rendre ce contenu primaire accessible (recherche par facettes, menus, optimisation pour les moteurs de recherche, liens entrants, newsletter…). Enfin, il s'agit de développer des chemins à partir de ce contenu (appel à action, partage social).

Le cœur est donc le contenu que l'on veut promouvoir, la raison pour laquelle les utilisateurs viennent : une information pertinente, une photographie, une vidéo, une fiche produit… Il est entouré d'informations secondaires qui viennent l'enrichir (des sources, des caractéristiques, des anecdotes, des contenus proches). Il faut trouver le juste équilibre entre ce que l'utilisateur recherche (loisir, information, achat, comparaison) et les buts du fournisseur de contenu (information, promotion d'un service, vente d'un produit, image de marque). C'est d'ailleurs ce contenu qui doit rester en avant quelque soit le dispositif avec lequel l'utilisateur y accède. Ordinateur de bureau, tablette ou smartphone, le responsive web design doit lui permettre de s'adapter à chaque type de présentation.

Ce contenu s'inscrit dans un flux de découverte et de navigation. Il faut rendre ce contenu visible via des chemins entrant au sein du site en lui-même (moteur de recherche interne, navigation par facettes, menus), ainsi qu'autour du site (blogs, moteurs de recherche, liens entrants, SEO, flux RSS, réseau d'affiliation, newsletters, APIs). Le contenu est maintenant visible et accessible.

L'étape suivante consiste à lui donner vie. Le contenu ne doit pas être un simple point de vue au bout d'une impasse. Il doit s'inscrire pleinement dans un flux de navigation et de consommation. À partir de celui-ci, les utilisateurs doivent facilement pouvoir répondre à un appel à action : le consommer dans le cadre d'un acte d'achat, laisser ses coordonnées (inscription à une newsletter, à un flux Twitter, à une page Facebook), lui ajouter de la valeur (commentaires, notation), parfois même en mode crowdsourcing (catégorisation, traduction, annotation), le partager via des réseaux sociaux (jusqu'à le rendre viral, qui sait).


Conclusion

L'usage de la métaphore comme principe d'idéation permet rapidement l'éclosion de nouvelles idées en transposant des concepts de domaines différents. C'est à la fois un point de départ intéressant et une image qui permet d'expliquer de façon simple des concepts.

Nous venons de voir comment un concept de chemin dans le monde tangible de l'urbanisme peut s'appliquer à la navigation web : de la friche aux lignes de désir, de l'hypertexte à la mise en avant de contenu avec des finalités différentes selon les acteurs associés.


Qu'en retenir, finalement ?

Le contenu doit s'inscrire au cœur de la démarche de création d'un design web, lui-même pensé comme un flux de découverte et de navigation. Les trois principales questions à se poser sont les suivantes : quel contenu présenter, comment le rendre visible, et quelles actions offrir aux utilisateurs à partir de celui-ci.


Photographie par Elysse, via Wikimedia Commons.


De contenido y enlaces (en espagnol)
Conteúdo e links (en portugais)
Of content and links (en anglais)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire